Les demandes de prises en charge d’enfants ou d’adultes réservent parfois de véritables surprises, surtout dans des situations d’échecs scolaires ou dans le cadre de « Bilans de compétences ». L’échec, le sentiment d’être dans une impasse, en décalage, sont parfois les manifestations particulières de capacités supérieures ou de compétences non-diagnostiquées. Mais ces capacités sont-elles pour autant la garantie d’un épanouissement personnel ? La réussite à des tests ou une apparente aisance cognitive voire sociale, sont-elles les gages d’un équilibre psychologique ? Peut-on être surdoué, en souffrance et en échec ?
Le paradoxe des personnes en « douance », « surdouance », ou à haut potentiel, est qu’ils passent souvent à travers les mailles du filet d’une société et d’un système qui est non seulement normatif, mais qui de plus, accorde de moins en moins de place aux intelligences spécifiques. Il existe de nombreuses manières d’aborder l’intelligence et sa définition varie avec le temps et les modes d’évaluation. Le QI n’est qu’une façon d’aborder les capacités intellectuelles. Comme les tests récents régulièrement mis à jour, il s’agit d’une évaluation statistique et souvent morcelée des mécanismes de la pensée. Le cerveau est multiple, il existe de nombreuses formes d’intelligence et contrairement à une idée reçue, une apparente facilité cognitive, ou une mémoire prodigieuse, peuvent révéler un véritable handicap (comme chez certains autistes) et inversement, une apparente inadaptation, sociale ou scolaire, peut cacher des talents extraordinaires.
Si le QI et les tests psychométriques permettent à de nombreux psychologues d’évaluer cette forme de développement sur une échelle dont les fondements sont statistiques ou mathématiques, ils ne permettent en rien de comprendre la condition que traverse une personne HP.
En effet, la dimension sociale et scolaire de ces situations accorde à ces personnes des capacités supérieures à la moyenne qui renvoient une place hiérarchique élevée, un rang valorisé et une facilité d’accès à une situation socialement respectée. Or, c’est passer à côté de la dimension psychopathologique et surtout de la spécificité de la souffrance éprouvée par les personnes à haut potentiel. Il est indispensable de considérer les tests comme un des éléments constitutifs d’une prise en charge globale de la personne. Si les tests permettent parfois de mettre des mots sur la qualification de la souffrance, ils ne permettent pas d’établir une étiologie de la situation, ni de préconiser une thérapie. De fait, beaucoup de personnes, y compris des psychologues, pensent que la réalisation de tests psychométriques est une aide au diagnostic. C’est en effet le cas, mais ils ne peuvent se substituer au travail thérapeutique qui requiert une approche inverse de compréhension et d’écoute de la personne et une maîtrise de la spécificité psycho-thérapeutique du profil HP. Sans cette prise en charge spécifique et indissociable, l’annonce de cette douance peut entraver la tentative thérapeutique.
Ainsi, la situation psychologique que traverse une personne à haut potentiel peut-elle au contraire se refermer sur ce simple constat, cette identité, en obstruant totalement toute dimension globale de l’équilibre psychoaffectif. Le sentiment de décalage, d’apesanteur, une impossibilité à vivre le moment sans faire appel à la pensée… Toutes ces situations nécessitent une importante énergie au quotidien de la part des HP dans le but d’entraver l’accès à la souffrance elle-même, surtout durant les premières années de vie. La douance s’accompagne souvent de troubles compulsifs, de « moulinage » des pensées et de troubles obsessionnels compulsifs (TOC)…
Il est commun de ne pouvoir diagnostiquer les enfants HP que très tard dans leur parcours car l’idée d’admettre une souffrance qui échappe, une difficulté, est en soi difficile. Pour ces enfants, le fait d’exprimer des difficultés que leur intelligence ne peut comprendre et gérer, est souvent vécu comme un échec. Le déni est alors la défense la plus commune, surtout à l’adolescence, et le jeune adulte refuse souvent tout recours psychothérapique, prétextant une bonne gestion de cette souffrance. Le diagnostic après des tests peut donc être contre-productif.
En tant que psychologues cliniciens, nous sommes bien sûr formés aux tests, psychométriques ou projectifs, le Rorschach, le TAT, le WISC le CAT… Ces tests, comme le WISC ou le WHAIS pour les adultes (Wechsler Adult Intelligence Scale), en portant une réponse à la question de la « différence », apaisent souvent dans le sens d’une reconnaissance de la spécificité de la souffrance du sujet, mais font eux-mêmes l’objet d’une « intégration » intellectuelle et cognitive de ces personnes qui justement, sont en mesure d’en comprendre la logique. Nous restons donc dans une situation balisée, contrôlée et pré-organisée ne favorisant pas l’alliance thérapeutique de soins nécessaire à l’apaisement de la souffrance sur le long terme.
Il est commun de recevoir en cabinet des enfants ou de jeunes adultes dans un complet déni, refusant toute prise en charge malgré les indications médicales, familiales ou scolaires. Si à travers mon écoute de psychothérapeute, le diagnostic de cette souffrance peut être parfaitement établi, ils ne peuvent accéder à leur état et restent parfois focalisés sur ces tests surtout lorsqu’ils auront été (sur)valorisés par un représentant symbolique (enseignant, médecin traitant, psychiatre…). C’est une situation qui réclame une véritable compétence théorique et étiologique que de pouvoir débloquer la situation. Même si ces tests gardent leur intérêt, il existe des méthodes moins radicales de poser ce diagnostic de douance tout en maintenant, établissant et construisant un lien thérapeutique fort avec la personne.
Ainsi, cela peut paraître étonnant mais la réalisation de tests peut favoriser le repli et le refus d’une prise en charge par désinvestissement de toute possibilité thérapeutique. Il n’est pas rare d’observer des dépressions chroniques chez les personnes HP, ainsi qu’une dévalorisation personnelle voire un repli social et affectif, même si cette personne semble entourée. Les relations sont souvent unilatérales et on vient souvent questionner la personne HP dans une demande et une recherche « d’irradiation » de son haut potentiel. Le HP sait, connait, comprend et maîtrise le monde selon un même référentiel, c’est là la position harassante à laquelle il doit s’astreindre et qui s’impose à lui. On constate donc une impossibilité à se lier et à construire de profondes amitiés équilibrées, à la fois de soutien et de demande affective, avec l’entourage, même avec la famille proche. C’est un signal fort de cette souffrance qui provoque un isolement en un monde affectif intérieur et un rapport intellectualisé aux autres.
Enfin, à l’issue de la réalisation des tests psychotechniques, si l’annonce d’un contexte de haut potentiel peut soulager, le diagnostic de son absence peut aussi avoir de lourdes conséquences chez le sujet ou les parents, qui parfois, se pensent dans une impasse.
En conclusion, si le diagnostic psychométrique peut être une étape, il faut impérativement comprendre le contexte psychopathologique de la personne HP afin de systématiquement proposer une prise en charge adaptée et mettre en place des outils thérapeutiques basés sur le diagnostic clinique, l’anamnèse, le discours, la structure, et surtout, la fonction de cette douance dans l’équilibre de la personne. En tout état de cause, s’autoriser à recevoir des soins, pour une personne HP, est dans un premier temps, vécu comme un aveu d’impuissance.
Le risque d’une mauvaise prise en charge psychologique est le recours à d’autres approches, d’autres méthodes d’apaisement, pharmaceutiques ou autres.