Douance, HP, Haut Potentiel, et puis ?

Les demandes de prises en charge d’enfants ou d’adultes réservent parfois de véritables surprises, surtout dans des situations d’échecs scolaires ou dans le cadre de « Bilans de compétences ». L’échec, le sentiment d’être dans une impasse, en décalage, sont parfois les manifestations particulières de capacités supérieures ou de compétences non-diagnostiquées. Mais ces capacités sont-elles pour autant la garantie d’un épanouissement personnel ? La réussite à des tests ou une apparente aisance cognitive voire sociale, sont-elles les gages d’un équilibre psychologique ?  Peut-on être surdoué, en souffrance et en échec ?

Le paradoxe des personnes en « douance », « surdouance », ou à haut potentiel, est qu’ils passent souvent à travers les mailles du filet d’une société et d’un système qui est non seulement normatif, mais qui de plus, accorde de moins en moins de place aux intelligences spécifiques. Il existe de nombreuses manières d’aborder l’intelligence et sa définition varie avec le temps et les modes d’évaluation. Le QI n’est qu’une façon d’aborder les capacités intellectuelles. Comme les tests récents régulièrement mis à jour, il s’agit d’une évaluation statistique et souvent morcelée des mécanismes de la pensée. Le cerveau est multiple, il existe de nombreuses formes d’intelligence et contrairement à une idée reçue, une apparente facilité cognitive, ou une mémoire prodigieuse, peuvent révéler un véritable handicap (comme chez certains autistes) et inversement, une apparente inadaptation, sociale ou scolaire, peut cacher des talents extraordinaires.

Si le QI et les tests psychométriques permettent à de nombreux psychologues d’évaluer cette forme de développement sur une échelle dont les fondements sont statistiques ou mathématiques, ils ne permettent en rien de comprendre la condition que traverse une personne HP.

En effet, la dimension sociale et scolaire de ces situations accorde à ces personnes des capacités supérieures à la moyenne qui renvoient une place hiérarchique élevée, un rang valorisé et une facilité d’accès à une situation socialement respectée. Or, c’est passer à côté de la dimension psychopathologique et surtout de la spécificité de la souffrance éprouvée par les personnes à haut potentiel. Il est indispensable de considérer les tests comme un des éléments constitutifs d’une prise en charge globale de la personne. Si les tests permettent parfois de mettre des mots sur la qualification de la souffrance, ils ne permettent pas d’établir une étiologie de la situation, ni de préconiser une thérapie. De fait, beaucoup de personnes, y compris des psychologues, pensent que la réalisation de tests psychométriques est une aide au diagnostic. C’est en effet le cas, mais ils ne peuvent se substituer au travail thérapeutique qui requiert une approche inverse de compréhension et d’écoute de la personne et une maîtrise de la spécificité  psycho-thérapeutique du profil HP. Sans cette prise en charge spécifique et indissociable, l’annonce de cette douance peut entraver la tentative thérapeutique.

Ainsi, la situation psychologique que traverse une personne à haut potentiel peut-elle au contraire se refermer sur ce simple constat, cette identité, en obstruant totalement toute dimension globale de l’équilibre psychoaffectif. Le sentiment de décalage, d’apesanteur, une impossibilité à vivre le moment sans faire appel à la pensée… Toutes ces situations nécessitent une importante énergie au quotidien de la part des HP dans le but d’entraver l’accès à la souffrance elle-même, surtout durant les premières années de vie. La douance s’accompagne souvent de troubles compulsifs, de « moulinage » des pensées et de troubles obsessionnels compulsifs (TOC)…
Il est commun de ne pouvoir diagnostiquer les enfants HP que très tard dans leur parcours car l’idée d’admettre une souffrance qui échappe, une difficulté, est en soi difficile. Pour ces enfants, le fait d’exprimer des difficultés que leur intelligence ne peut comprendre et gérer, est souvent vécu comme un échec. Le déni est alors la défense la plus commune, surtout à l’adolescence, et le jeune adulte refuse souvent tout recours psychothérapique, prétextant une bonne gestion de cette souffrance. Le diagnostic après des tests peut donc être contre-productif.

En tant que psychologues cliniciens, nous sommes bien sûr formés aux tests, psychométriques ou projectifs, le Rorschach, le TAT, le WISC le CAT… Ces tests, comme le WISC ou le WHAIS pour les adultes (Wechsler Adult Intelligence Scale), en portant une réponse à la question de la « différence », apaisent souvent dans le sens d’une reconnaissance de la spécificité de la souffrance du sujet, mais font eux-mêmes l’objet d’une « intégration » intellectuelle et cognitive de ces personnes qui justement, sont en mesure d’en comprendre la logique. Nous restons donc dans une situation balisée, contrôlée et pré-organisée ne favorisant pas l’alliance thérapeutique de soins nécessaire  à l’apaisement de la souffrance sur le long terme.

Il est commun de recevoir en cabinet des enfants ou de jeunes adultes dans un complet déni, refusant toute prise en charge malgré les indications médicales, familiales ou scolaires. Si à travers mon écoute de psychothérapeute, le diagnostic de cette souffrance peut être parfaitement établi, ils ne peuvent accéder à leur état et restent parfois focalisés sur ces tests surtout lorsqu’ils auront été (sur)valorisés par un représentant symbolique (enseignant, médecin traitant, psychiatre…). C’est une situation qui réclame une véritable compétence théorique et étiologique que de pouvoir débloquer la situation. Même si ces tests gardent leur intérêt, il existe des méthodes moins radicales de poser ce diagnostic de douance tout en maintenant, établissant et construisant un lien thérapeutique fort avec la personne.

Ainsi, cela peut paraître étonnant mais la réalisation de tests peut favoriser le repli et le refus d’une prise en charge par désinvestissement de toute possibilité thérapeutique. Il n’est pas rare d’observer des dépressions chroniques chez les personnes HP, ainsi qu’une dévalorisation personnelle voire un repli social et affectif, même si cette personne semble entourée. Les relations sont souvent unilatérales et on vient souvent questionner la personne HP dans une demande et une recherche « d’irradiation » de son haut potentiel. Le HP sait, connait, comprend et maîtrise le monde selon un même référentiel, c’est là la position harassante à laquelle il doit s’astreindre et qui s’impose à lui. On constate donc une impossibilité à se lier et à construire de profondes amitiés équilibrées, à la fois de soutien et de demande affective, avec l’entourage, même avec la famille proche. C’est un signal fort de cette souffrance qui provoque un isolement en un monde affectif intérieur et un rapport intellectualisé aux autres.

Enfin,  à l’issue de la réalisation des tests psychotechniques, si l’annonce d’un contexte de haut potentiel peut soulager, le diagnostic de son absence peut aussi avoir de lourdes conséquences chez le sujet ou les parents, qui parfois, se pensent dans une impasse.

En conclusion, si le diagnostic psychométrique peut être une étape, il faut impérativement comprendre le contexte psychopathologique de la personne HP afin de systématiquement proposer une prise en charge adaptée et mettre en place des outils thérapeutiques basés sur le diagnostic clinique, l’anamnèse, le discours, la structure, et surtout, la fonction de cette douance dans l’équilibre de la personne. En tout état de cause, s’autoriser à recevoir des soins, pour une personne HP, est dans un premier temps, vécu comme un aveu d’impuissance.

Le risque d’une mauvaise prise en charge psychologique est le recours à d’autres approches, d’autres méthodes d’apaisement, pharmaceutiques ou autres.

J’ai des difficultés dans mon couple

Contrairement à l’idée reçue, le couple n’est pas l’addition de deux personnes. Il est un autre lieu, celui des fantasmes et de l’idéal, celui des illusions et des émancipations, enfin, celui du mouvement. Tous ces éléments forment un objet indépendant dont l’équilibre dépend souvent des capacités d’adaptation et du désir qui persiste au fil du temps. Je parle donc ici du désir, et non de la sexualité. Mais alors qu’est-ce que le désir ?

La plupart des personnes qui viennent me consulter attendent de mon intervention une issue à leurs difficultés au sein du couple. En réalité, ce qui se joue là n’est pas la factualité, la réalité, le quotidien de ce qui est vécu, mais bien au contraire, ce qui échappe totalement à la connaissance de ce qui forme ce couple. C’est pour cette raison qu’ils ont besoin d’un tiers et d’une compétence spécifique très différente de celle que peut prodiguer un médecin ou un coach.

Les difficultés au sein du couple ne peuvent se résumer à une somme de plaintes ou de récriminations pointant les convergences ou les divergences de points de vue ou de comportement. Les turbulences qui bousculent le couple qui semblait jusqu’alors fonctionner, ou parfaitement dysfonctionner, proviennent souvent d’une prise de conscience progressive, souvent d’une émancipation d’un membre ou des deux, d’un événement qui fera évoluer la situation, parfois à la suite d’un travail personnel chez un psychologue ou un psychanalyste.

En dépit de ce qu’on affirme être les raisons de ce choix, ce qui fait que nous choisissons un partenaire nous échappe et reste inconscient, toujours et heureusement, car elles révèlent un manque, un conflit, un besoin, qui justement, pourraient se rejouer, se retrouver ou se réparer dans le couple à travers ce puissant désir de modifier son propre destin dans la rencontre.

Pour les psychanalystes, le Désir n’est donc pas une manifestation (comme dans la sexualité), mais bien ce qui la motive, qui nous échappe, qui peut donc prendre de nombreuses formes.

Se formuler ces raisons est impossible car c’est justement ce mystère qui fonde la solidité du couple en dehors de toute dimension morale. S’il était possible de formuler ces raisons, il suffirait de remplir des fiches et de rechercher une correspondance avec une personne, or c’est ce que tentent de nous vendre les sites de rencontre, qui en tout état de cause, confondent les êtres humains que nous sommes, avec des machines mathématiques et rationnelles. Dans le cas des rencontres internet, c’est toujours la dimension qui échappe qui fonde la véritable rencontre, même lorsque deux partenaires se ressemblent à l’évidence.

C’est pour cette raison que le fonctionnement du couple relève de l’intimité des conflits intérieurs et nécessite une compétence très éloignée du jugement social, culturel ou moral de l’époque. C’est à travers ce travail avec le psychologue clinicien que la thérapie de couple permet de dénouer les impasses, et les dépasser. C’est aussi pour cette raison que ces conflits qui font souffrir le couple ne sont pas souvent accessibles aux sujets qui viennent me consulter. « Je suis avec cette femme car elle ressemble à ma mère, elle est de ma culture et de mon rang, mais en conséquence je n’éprouve pas de désir sexuel pour elle... », « je suis avec cet homme pour lequel j’éprouve une grande attirance car il me maltraite et me dénigre comme dans un modèle que je connais déjà…« , « ce compagnon me permet enfin de m’extraire de mon héritage familial…« , « …je reste avec ce partenaire car je ne peux m’avouer qu’il ne sera jamais disponible (car il est déjà marié, par exemple…), et de fait, je préfère m’en plaindre plutôt que de m’avouer que  je suis incapable de m’engager avec un homme qui serait libre…« .

Car former un couple c’est aussi pouvoir renoncer à une position pour en choisir une autre, passer de celle de « fille de sa mère », à celle de « mère de sa fille », et pour le garçon, de la position de fils, à celui de père (et prendre donc sa place)…

Le couple est donc l’apprentissage de la perte, du changement, de l’autonomie puis de la re-construction possible à travers un lien qui n’est plus filial mais choisi et donc, responsable.

Le parcours familial, personnel,  la transmission et plus encore, la dimension transgénérationnelle sont  donc au cœur de ce travail chez le psychologue, qui permet de modifier le cours de l’histoire individuelle comme celle de cette entité que l’on nomme « le couple ».

Je suis déprimé(e)

Etre déprimé n’est pas un état simple à définir. Cela peut prendre de nombreuses formes et se manifester à travers de nombreux symptômes : l’état de fatigue général, le rapport au sommeil, au réveil, mais il peut aussi s’agir d’une fatigue chronique qui empêche d’agir, de prendre des décisions, une pesanteur, une envie constante de se coucher parfois même sans pouvoir dormir. Enfin, la dépression peut aussi se manifester à travers l’exact opposé, une grande excitation défensive qui cache une incapacité à faire face à cet état. La dépression peut prendre de nombreuses formes.

La première consultation est primordiale lors du passage chez le psychologue. Elle me permet de comprendre l’état psychique de la personne qui aura le courage de se confronter à cet état parfois extrêmement handicapant. Le recours aux antidépresseurs ou aux anxiolytiques que peuvent prescrire les médecins ou les psychiatres ne répond pas à la véritable origine de cet état, ils ne font que masquer artificiellement les raisons profondes de ce passage pénible qui paralyse le corps et l’esprit. Même si la raison de cet état semble évidente, une rupture, un échec, un deuil… le psychologue clinicien est présent afin de soutenir et de dénouer ce qui se joue et permet d’apprendre à gérer ce passage, à en construire un discours, à ne pas refouler ce moment, de peur qu’il ne se manifeste ailleurs, dans le corps parfois ou à un autre moment  de la vie de façon plus violente et plus handicapante encore. De même, le recours au coaching ou aux techniques de motivation peut avoir des effets ravageurs sur l’état psychologique de la personne en dépression.

C’est chez le psychologue que les choses se déplient car il existe bien de véritables raisons à la dépression, on peut même dire que, bien que pénible, la dépression est un moment important de la vie, surtout lorsqu’elle n’est pas chronique. En effet, cet état atteste d’un déséquilibre souvent d’origine affectif, mais pas seulement; Il témoigne d’un mouvement, d’un changement et souvent d’une évolution de la personne.

Etre déprimé est donc paradoxalement, un signe de bonne santé. Il n’est pas rare de constater qu’à l’inverse, la réussite à un examen, l’obtention d’un poste, un mariage ou la naissance d’un enfant, provoquent ainsi de puissants mouvements de repli à caractère dépressif.

Enfin, la dépression provoque une immobilité qui parfois, protège et permet de prévenir l’acte.

Une fois de plus, il convient de se faire aider afin de traverser ces moments de façon constructive et de rouvrir des portes que l’on pensait closes.

Peur de l’abandon

« De l’amour maternel dépend la réalisation de l’amour adulte« . Depuis les travaux de référence du psychiatre psychanalyste Donald Winnicott, mais aussi les études de Mélanie Klein, les rapports mère / enfant constituent un socle de la psychopathologie adulte. De ces rapports dépendent souvent l’équilibre psychique des enfants et des futurs adultes, leur crainte de l’abandon et du manque, la capacité de gérer des angoisses ou le style des rapports amoureux

Les écrits fondateurs de Donald Winnicott, héritier de Mélanie Klein, (1956) furent très vite empruntés par de nombreux psychologues et psychanalystes, tant Françoise Dolto que Serge Lebovici ou Bernard Golse. Dans l’article « L’observation des jeunes enfants dans une situation établie », tiré de « De la pédiatrie à la psychanalyse », (Payot, 1969), mais aussi dans « La capacité d’être seul », Winnicott invente de nombreux concepts particulièrement complexes dont on aura résumé bien trop vite les conséquences sociétales et comportementales. La pensée de Winnicott ne peut se résumer à des directives comportementales et les notions de « holding » et de « handling » décrivant les indispensables soins de la mère avec son bébé sous-tendent une multitude de dimensions dans lesquelles les rapports inconscients, de lien et de co-création occupent une place primordiale. De même, comme dans toute clinique et recherche étiologique de ce type, il ne s’agit pas d’une mise en accusation (de la mère), mais à l’opposé, d’un ensemble d’outils pour comprendre la souffrance de la mère, de l’enfant qu’elle fut, comprendre la nature de ce qui ne se dit pas dans cette relation mère/enfant et l’importance essentielle de ce rapport dans la construction de son enfant. Il est donc ici question d’écouter la mère, de lui donner la parole. Il y a de l’amour dans la relation mère enfant, y compris dans les pires cas de maltraitance, y compris lorsque cet amour fait naître une angoisse d’abandon et une incapacité chez l’enfant à être seul ou à calmer ses pires angoisses.

Ce que la mère pense être de l’amour, cette intense préoccupation, peut ainsi s’exprimer en un rapport destructeur dans lequel l’enfant n’a plus de place et où les angoisses inconscientes de la mère se manifestent. Winnicott parle de moments schizoïdes, périodes de dissociation… moments qui sont dirigés vers le bébé, et qui, dans le cas d’un lien « sain » permettent au nourrisson de se constituer un moi, une enveloppe psychique de bonne qualité. Ces éléments de psychopathologie occupent une grande place dans les prises en charge d’adultes. Donald Winnicott étudie le rapport à la mère dans son évolution au fil du développement du nourrisson et construit une clinique de ce moment constitutif du bon développement. L’enfant est un être en dépendance. Il ne choisit pas son environnement et doit dès les premières minutes d’existence, comprendre les mécanismes pouvant lui permettre de satisfaire ses besoins physiques et psychiques. Ce nouage est au cœur de nombreuses pathologies de l’enfance et il s’imprime de façon profonde dans les comportements des futurs adultes.

 

Ce rapport à l’enfant ne peut être analysé qu’à un niveau comportemental. Nous pourrions même affirmer que ces manifestations pathologiques « visibles » de la mère sont parfois les moins complexes à soulager. Les gestes et les soins prodigués par la mère, mais aussi parfois par le père, sont ceux guidés par le vécu inconscient des parents, leurs propres angoisses refoulées, leurs carences elles-mêmes générées par des comportements défensifs de vouloir faire « le contraire » de ce qu’ils ont eux-mêmes vécu. L’enfant est alors l’enjeu (ou le jouet) d’un investissement qui le submerge et dans lequel il n’a en réalité que peu de place. Il reçoit en héritage le miroir de ce qu’une pathologie aura préalablement imprimé sur la mère et dont elle pense pouvoir se défaire en agissant à l’opposé des carences qu’elle aura elle-même vécues. Or il n’y a là qu’une répétition, cette fois en miroir inversé, répétition qui vise la résolution d’un conflit de la mère et non de son enfant, une fois de plus seul, à l’instar de ce qu’elle aura vécu puis refoulé, et le cercle vicieux se répète…

C’est avant toute chose cette dimension inconsciente que l’enfant reçoit de son parent aidant, que Freud nommait le Nebenmensch. Ce rapport de la mère à ses propres fantasmes et angoisses est le premier héritage de l’enfant.

Madame R. vient en consultation me réclamer de l’aide avec sa fille Charlotte, 6 ans, qui « lui fait » des crises toujours plus violentes lors du coucher, et qui, en tout état de cause, conduit la mère à dormir avec son enfant dans son lit ou à côté d’elle.

Winnicott décrit le rapport à la mère comme un équilibre entre le « trop » et le « pas assez ». Un équilibre qui peut sembler évident pour la plupart des mères « suffisamment bonnes » (selon l’expression de Winnicott), beaucoup moins pour des parents toxiques, ou souffrant eux-mêmes de carences, d’angoisses, d’agressivité non métabolisée…

L’enfant doit pouvoir manifester ses besoins primaires à travers les moyens qui sont à sa disposition (cris, pleurs, et parfois énurésie ou plus tard comportements agressifs) mais, si la mère doit y répondre, elle doit aussi laisser l’enfant construire les mécanismes de fantasmatisation nécessaires à la formation de son appareil psychique. En laissant à l’enfant la place de désirer, de construire une demande, la mère contribue à l’aider à se constituer un monde intérieur et une intimité. Ce monde qui s’organise selon un schéma intrapsychique solide, permet à l’enfant de faire exister des objets internes fantasmés, objets de désirs, objets d’amour. Winnicott parle de la « mère suffisamment bonne » qui saura à la fois témoigner de sa présence et d’un lien indéfectible, et d’une absence salvatrice, permettant à l’enfant de se développer sans angoisse. C’est dans cet équilibre, que l’enfant peut s’autonomiser, sans terreur d’abandon, ni angoisse de l’absence.

Madame R. est suivie par un confrère auquel je l’ai adressée, non sans beaucoup de résistance de sa part. Après quelques mois de suivi, elle s’ouvre enfin à l’histoire de la naissance de sa fille et à la sienne. Issue d’une fratrie de 4 enfants, Madame R. est la plus jeune et sa venue dans la famille vient clôturer le désir de ses parents « d’avoir une fille ». Mais sa naissance succéda aussi au décès d’un petit frère, mort né, dont la famille s’est difficilement remise.

Dans son désir d’avoir un enfant, Madame R. aura aussi refoulé une fausse couche qui survint six mois avant la naissance de Charlotte. La douleur de cette perte venait en écho de sa propre histoire familiale, qui la fit sombrer dans une profonde dépression, jamais prise en charge. L’angoisse de perdre son second enfant eut de dramatiques conséquences sur la naissance de Charlotte. Cette angoisse inconsciente fut au centre de la naissance, et prit très vite la place des besoins primaires du nourrisson.

Madame R. ne supportait pas l’idée de laisser Charlotte, deux ans, seule. Sans se le formuler ainsi, elle n’était en rien préoccupée par l’expression de son enfant, mais gavait le nourrisson dès qu’une crainte l’envahissait. Les manifestations de l’enfant lui étaient insupportables et elle le faisait taire par tous les moyens à sa disposition dès sa naissance, devançant l’expression de la moindre plainte, apaisant ainsi ses propres angoisses très archaïques de perte. Pour la mère, dormir aux côtés de sa fille lui permit assez vite d’apaiser ses propres angoisses et de faire taire sa fille… aggravant la dépendance de cette dernière par le même mécanisme.

Dénouer ces traumatismes dans la thérapie fut une étape importante pour la dyade mère / enfant. Après quelques mois de cette double prise en charge, la petite Charlotte put enfin se coucher seule et trouver le sommeil sans encombre.

Si Winnicott nous apprend à écouter l’enfant et surtout à entendre l’enfant que fut la mère, notre formation nous permet aussi de comprendre le parcours d’adultes ayant eux-mêmes Cété objet de mères abusives ou toxiques. Cela se traduit souvent par une incapacité à être seul, et donc à vivre la relation à l’autre. Les mères pathologiques ne permettent pas à l’enfant de vivre leur condition d’enfant. Ces enfants sont très vite des adultes, ou de faux adultes (faux-self), auxquels on aura demandé d’occuper une place inappropriée afin d’apaiser les angoisses de parents carentiels, eux-mêmes dans l’incapacité à occuper leur place d’adulte. Le cycle se reproduit ainsi dans de vaines tentatives de réparations, ou se manifeste parfois dans le corps en une difficulté à procréer. C’est souvent ce qui se produit dans des situations matures de responsabilité. Il est commun, pour des cliniciens thérapeutes aguerris, de  pouvoir permettre à une femme de s’autoriser enfin à mettre au monde un enfant, après un véritable travail de dénouage… Mais le travail de l’inconscient à travers les méthodes thérapiques permet de s’extraire de ces répétitions et de briser ce cercle pathologique. Les parents soucieux de la santé de leurs enfants ont parfois le courage de s’y atteler.

En son temps, R. DIATKINE (1994) avait pu dire que pour que l’enfant soit, un jour, capable de symboliser (de se représenter) la mère absente, il fallait qu’il ait, d’abord, bénéficié d’une grande quantité, et d’une grande qualité, de présence maternelle, ce qui sous-entendait que la mère voit donc son statut passer de celui d’objet contenant à celui d’un objet contenu, mais d’un objet contenu exerçant peu à peu, grâce à son intériorisation progressive par l’enfant, sa fonction contenante à partir de l’intérieur même de la psyché de l’enfant.

De la symbolisation primaire à la symbolisation secondaire. Bernard Golse

Winnicott, D.W., (1958). « La capacité d’être seul ». In De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1969, 205-213

Françoise Dolto sur France Culture

L’arbre de vie : Eléments de la psychopathologie du bébé

Identification primaire et imago maternelle par Gregorio Kohon, sur le site  CAIRN

Qu’est ce que la psychanalyse ?

La psychanalyse est, depuis sa création, décriée et critiquée. Bien peu de personnes savent en parler et pourtant, des millions d’entre-elles sont régulièrement soignées, libérées et soutenues dans leur quotidien par la psychanalyse et parfois, dans le plus grand secret.

J’ai reçu une formation scientifique, doublée d’un cursus de psychologue clinicien psychanalyste. Expert près la Cours d’Appel de Versailles et chargé d’enseignement à l’Université Paris 7 Diderot, je voudrais répondre ici en quelques phrases simples, aux questions légitimes que se pose celui qui n’a de la psychanalyse qu’une connaissance médiatico-médiatique issue d’internet ou ceux qui ne l’auront ni étudiée, ni éprouvée, ou qui ne connaissent rien à la prise en charge psychothérapeutique.

Si mon approche de la psychologie est d’orientation psychanalytique, c’est que j’ai constaté, devant moi, face à moi, comme beaucoup d’autres professionnels, parfois issus de la médecine, que les principes de la psychanalyse éclairent et soignent la souffrance humaine. Il n’y a pas d’autre raison. Il ne s’agit pas là d’une croyance, ou d’un prêche, mais du métier que je pratique et qui me met en contact avec des personnes en souffrance depuis de nombreuses années. La psychanalyse s’impose comme toutes les sciences, en perpétuel mouvement. Les technologies sont en lien avec la médecine, comme l’est la psychanalyse, qui toujours vient éclairer le fonctionnement de la psyché humaine.

Je réponds ici à ces questions dans un dialogue imaginaire, comme elles pourraient se poser lors des premières années d’études à l’Université à ceux qui décident d’aborder le métier de psychologue. Mais ces questions sont aussi celles de ceux qui s’interrogent sur ce que renferme cette méthode analytique qui demeure l’une des plus passionnantes de l’histoire du soin, et à laquelle la médecine vient discrètement se nourrir depuis des siècles, tout en en critiquant parfois l’efficience. Freud était un neurologue, il puisa et structura la méthode analytique afin de soigner là où la médecine de son temps était totalement inefficace. Lacan était un médecin psychiatre, il fit face à l’inefficacité de certaines prises en charge et à l’absence de véritable modèle clinique. Aujourd’hui, malgré les récentes découvertes, l’imagerie médicale, les neurosciences, etc… c’est toujours le cas : Le modèle de la médecine seule demeure insuffisant face à la maladie psychique, elle peut au mieux, en atténuer les symptômes : la boulimie, l’anorexie, la dépression, la psychose, les syndromes post-traumatiques, l’addiction, le suicide… La psychanalyse propose un modèle scientifique de l’appareil psychique qui n’a pour l’instant, aucun équivalent, ni en termes de clinique, ni en termes d’explications étiologiques des troubles.

A quoi ça sert de parler ?

Parler de la parole c’est comprendre que le discours renferme plus de dimensions que le seul sens qu’on pense lui donner, il existe donc une partie de ce qui est dit qui nous échappe, c’est certainement ce qui nous distingue encore de la machine. Or, c’est ce qui pose problème : certains pensent qu’il suffit de s’exprimer clairement pour être compris. Une fois de plus, ce mode d’échange est celui de l’informatique, non celui des êtres humains. Comme dans la parole, nos actes, nos choix, nos engagements, nos répétitions, nous échappent pour partie. C’est une idée particulièrement dérangeante pour certains, que de penser qu’ils n’ont pas tout pouvoir sur ce qui motive les actes et que cela demande un effort pour y accéder, et tenter de comprendre pourquoi l’on répète et l’on échoue. D’autres se questionnent sur leurs échecs, leurs répétitions, impasses et la source de leurs souffrances, et souhaitent véritablement se sortir de ces situations.

Qui peut nier la force de la parole ? Dans l’interdit, dans les soins de la mère, dans celle du grand-père ou de l’être aimé, celle qui détruit et avilit, celle qui reconstruit, qui libère et qui dévoile, celle qui construit le corps et qui le meurtrit… la parole absente qui plonge dans d’obscurs abîmes de déréalité, et puis cette parole qui nous échappe toujours, preuve d’une perte, d’une séparation.

Pour faire simple, le psychanalyste écoute le discours en filigrane, celui qui se raconte au-delà de ce qui est dit, il écoute TOUTE la parole de l’analysant, ce qu’il tente de dire sans y parvenir, ce à quoi il tente d’accéder lui-même mais qu’il ne peut entendre (et qui le fait souffrir), ce qu’il aurait voulu dire à un autre, et qu’il va enfin dire ici… et surtout, aux associations qui vont surgir lors de la séance entre les phrases et les mots, et à leurs conséquences qui laissent entrevoir les mécanismes inconscients.

La psychanalyse est-elle une science exacte ?

La psychanalyse n’est pas plus une science exacte que la médecine, mais elle s’articule avec les connaissances médicales et offre une lecture étiologique et une méthode.

La psychanalyse est et demeure à contre-courant, pour une raison assez simple : elle tente de libérer les hommes et les femmes en donnant accès à leur propre destin, et à travers ce même mouvement, elle s’attaque à ce qui fait souffrir et entrave ce but. C’est en grande partie la raison des polémiques autours de la psychanalyse. Elle réclame de la part de l’analysant, une position d’humilité et de courage.

La psychanalyse est-elle réservée à une élite ?

Il n’est pas simple de parler de ce qu’est la psychanalyse car elle ne se vend pas, elle ne demande rien, ne revendique rien sinon la possibilité pour chacun de choisir son destin. Elle est efficace en redonnant à la personne le contrôle de sa vie sans l’aide d’une quelconque industrie ou institution.

Au fil des années, j’ai observé la violence des attaques envers la psychanalyse, cela à toujours été le cas. On attaque  ses représentants sans même en avoir étudié les travaux, Freud, Lacan, Winnicott, Mélanie Klein et tant d’autres… pour y préférer les discours simplistes des marchands, interdisant du même coup au plus nombreux, l’accès à ces soins.

De formation scientifique, voici pourtant plus de 30 ans que j’en traverse l’acuité et la véracité clinique sans jamais y avoir constaté aucune impasse tant sur les plans théorique que psychothérapique. La psychanalyse n’est donc pas réservée à une élite intellectuelle argentée, elle se pratique encore dans certains Centres Médicaux Psychologiques (CMP) et est donc prise en charge par la sécurité sociale dans ce cadre. Le fait qu’elle soit de moins en moins présente dans les centres  médicaux et qu’elle ne soit pas ou peu remboursée en cabinet privé est un choix politique.

Les psy sont des escrocs, c’est une croyance !

Les psychanalystes sont décriés, ridiculisés, caricaturés, tant mieux. Leur formation universitaire à la psychologie est rendue toujours plus ardue et elle est une référence dans le monde scientifique au point que la formation des psychiatres demeurant incomplète face aux maux du psychisme, nombreux se forment à la psychanalyse, tentant de parfaire une formation bien pauvre en terme d’étiologie et de clinique, se raccrochant à la neuropsychologie afin de vérifier des thèses défendues par Freud il y a plus d’un siècle.

Aucune psychiatrie n’est en mesure de traiter la plupart des affections communes sauf à (parfois) éradiquer leurs seuls symptômes au prix de traitements chimiques très coûteux en terme d’effets secondaires métaboliques, psychiques et financiers.

La psychanalyse vient justement s’articuler avec la médecine tout en positionnant le praticien à une place exactement opposée… oui je sais, c’est compliqué.

Le patient qui souffre consulte-t-il un psychologue ou son médecin de famille ? Vous avez la réponse ? Alors en qui croit-il ?

Nous vivons une époque de la religion médicale et scientiste. L’espérance en un monde apaisé et heureux nourri par les progrès de la science et de la médecine est une utopie. Depuis Copernic, puis Einstein, nous savons que tout modèle scientifique est une œuvre de construction transitoire. La psychanalyse raconte l’homme en ce qu’il est un être de langage et de pensée. Elle libère justement de la croyance et émancipe en proposant à chacun de se rendre autonome et libre. C’est en cela qu’elle est une science au sens éthique de ce mot et qu’elle demeure une méthode résolument subversive.

Pour aller plus loin :

Lien consœur : Marianne Carabin, Psychanalyste, Qu’est-ce que la psychanalyse ?

Un ouvrage passionnant de Simone Korff-Sausse,  Dialogue avec mon psychanalyste, paru en 2005

Simone Korff-Sausse est psychanalyste, membre de la SPP. Docteur en psychopathologie fondamentale et psychanalyse, elle est maître de conférence à l’université Denis Diderot Paris 7. Elle a une longue expérience auprès de personnes handicapées et de leur famille. Elle a notamment publié Le miroir brisé, l’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste (Paris, Calmann-Lévy, 1996) et, avec Cécile Herrou, L’intégration collective de jeunes enfants handicapés (Toulouse, érès, rééd. 2007) sur son expérience dans la halte-garderie La maison Dagobert.

Alain Vanier, Une introduction à la psychanalyse, ed. Armand-colin. A. Vanier est Docteur en médecine (AIHPP, Ancien Psychiatre des Hôpitaux), docteur en psychopathologie fondamentale et psychanalyse, Habilitation à diriger les recherches. Il commence une analyse en 1970 et fréquente l’École freudienne de Paris. Il est aujourd’hui analyste membre d’Espace analytique (A.F.P.R.F)