L’hypnose n’est pas une pratique nouvelle, elle est décrite dans l’antiquité comme dans la culture hindoue, indissociable de certains yogas ou de la transe dans de nombreuses pratiques chamaniques et africaines. Les magiciens de foire et certains médecins utilisent ces techniques qui consistent à solliciter la modification du comportement ainsi que la production d’endorphines inhérentes à l’état de relaxation. Mais en quoi ces pratiques sont-elles des thérapies ? Quels en sont les principes et les mécanismes ? Cette pratique est-elle encadrée par une législation, une formation ou un titre officiel ?
Jusqu’à Freud qui assista aux expériences du neurologue Jean-Martin Charcot sur l’hystérie, elle permettait non sans un certain crédit, de faire tomber certaines défenses et de plonger des personnes en état de léthargie, ouvertes à la suggestion et à l’exécution d’ordres verbaux ou gestuels. Le neurologue Freud s’émancipa rapidement des pratiques hypnotiques.
Si ces techniques s’attaquent aux symptômes tels qu’ils sont décrits par le patient à travers sa plainte ou sa demande, elles ne sont en rien des thérapies et le terme hypno-thérapeute joue sur une ambiguïté, celle du titre de psychothérapeute, qui est lui, encadré par texte législatif, celui de l’article 52 de la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 modifiée relative à la politique de santé publique.
Principes
Pour autant, l’hypnose est un phénomène bien réel et, même si les mécanismes précis en sont encore méconnus, il faut distinguer deux types d’hypnose : celle qui provoque une perte de connaissance et une absence de conscience du sujet, et celle qui permet la relaxation, la parole et l’écoute dans un état de calme favorisé par une oxygénation et un ralentissement du rythme cardiaque. Dans les deux cas, il se passe quelque-chose au niveau de la capacité d’action. Mais, plutôt que de chercher du côté des ‘effets’, intéressons-nous à la typologie du lien qui s’établit entre l’hypnothérapeute et le sujet.
Sous l’influence de Freud, la psychanalyse aura très rapidement posé la question de la typologie de cette relation, entre thérapeute et patient. Elle est ainsi décrite comme génératrice d’un rapport de dépendance, position infantile, accordant à celui qui est en charge et qui se présente comme médecin, ou dépendance à la substance (homéopathique), un pouvoir que le patient confie à un « encadrant », un « soutenant » (cf. holding / handling de Winnicott). Sans entrer dans les détails ici, dans certains cas il s’agit de ce que l’on nomme transfert, dans d’autres, projection…
Ce mécanisme qui relie ces deux protagonistes permet, selon les structures et les modes de défense des patients, d’agir sur les comportements et non sur sa valeur symptomatologique. Là où l’hypnose ne s’intéresse qu’à l’abrasion du symptôme, le psychologue s’intéresse à son étiologie, c’est-à-dire à sa raison d’être. Il vient user de la compétence clinicienne pour dénouer la motivation comportementale (les troubles comportementaux étant ceux qui motivent le plus souvent la demande de résolution par l’hypnose). Pour faire court, la psychologie clinique comme la psychanalyse questionnent le symptôme afin de libérer le patient du conflit qui en constitue la raison d’être, la fonction. Là où l’hypnose tente de faire disparaitre le symptôme, avec plus ou moins de succès, le psychologue tente de s’intéresser à la personne, au sujet.
Formation
Même s’il existe certains enseignements officiels, aucune formation de ce type ne peut se prévaloir d’un diplôme d’Etat. Ces formations de quelques mois sont proposées par des écoles privées, souvent rattachées à des groupes industriels (très actifs et particulièrement prosélytes), mais toujours à grand renfort de communications bien rodées sur les réseaux sociaux et les sites internet. La formation seule des hypnotiseurs n’inclut aucune formation sérieuse à la biologie, ni à la génétique, ni à la neurologie et ne nécessite aucune connaissance ni universitaire, ni même scolaire. Ces pratiques n’impliquent aucunement une connaissance de la nosographie (vocabulaire clinique) médicale ou psychologique, ce qui de fait, interdit toute relation ou inscription dans le parcours de santé. En revanche, certains médecins sachant le peu de risque d’entrave à leur propre pratique, se font parfois aider par des hypnotiseurs, plutôt que par des psychologues diplômés.
Ces pratiques ne sont pas encadrées par un ordre ou une législation. Les personnes pratiquant l’hypnose peuvent en outre être diplômées d’un titre de médecin ou de psychologue mais rien ne les y oblige. Tout le monde peut s’offrir ces formations qui permettent au tout venant de se passer d’études, de connaissances et des validations nécessaires aux titres de psychothérapeute, de psychologue clinicien ou de médecin. J’ai moi-même croisé de nombreuses personnes, hommes ou femmes en complète rupture économique, sociale et scolaire, souffrant de graves troubles psychiques, arborant fièrement ce titre d’hypnothérapeute…
Il est courant d’entendre un discours marchand très vendeur autour de ces pratiques, qui vante toujours « le bien, le bon, le bonheur » du patient, la disparition rapide, ou ultra rapide (en quelques séances) du symptôme. Ce discours très bien marketé répond à une accusation de la psychanalyse ou des prises en charge longitudinales médicales qui permettent d’apprécier la valeur du traitement sur une longue période et en contexte. Cette accusation n’a pas plus de sens que celle qui consisterait à remettre en question le nombre de séances de chimiothérapie ou de rééducation…
Efficacité
L’hypnose est-elle efficace ? Dans certains cas et pour certains patients, il convient de répondre oui… mais la question à poser est : à quel coût ? Comment le sujet va-t-il exprimer son conflit ensuite ? Durant des siècles, le marabout soignait certains maux de la psyché, comme le chamane aux connaissances holistiques ou parfois le médecin, encore aujourd’hui. Dans de nombreux cas, la disparition d’un symptôme, voire d’une addiction, ne fait que transformer le symptôme, le déplacer. Il est tout à fait possible à tout béotien d’effectuer l’ablation d’un rein (cela c’est vu en situation de crise ou d’urgence absolue), mais comment reconnaître les néphrons, les dysfonctionnements hémodynamiques, et comment agir en cas d’hémorragie ?
Si la question de la fonction du symptôme n’est pas posée, le conflit, le mal-être, pourra resurgir sous d’autres formes. En matière de souffrance psychique, c’est nier ce qui fait la spécificité d’un sujet, d’une personne, que de ne s’intéresser qu’à son symptôme, et souvent à sa demande apparente. C’est en cela que la psychologie clinique d’orientation psychanalytique est à contre-courant d’un système marchand et à contre-courant de notre époque tout court. La popularité de l’hypnose, comme d’ailleurs celle des techniques comportementales, vient en écho d’un monde de la consommation plus que celui du soin. La médecine du psychisme elle-même souffre de ses propres maux et les temps de prises en charge toujours plus réduits, les traitements encore plus expéditifs, sont à des années-lumière de la temporalité et de la compétence nécessaires à la disparition de la souffrance.
La connaissance du phénomène induit par le rapport soignant / soigné n’est révélé qu’assez rarement. Seule la psychanalyse entrouvre cette porte dans l’étude du transfert, du contre-transfert ou du « désir du psychanalyste », pour le dire en termes plus lacaniens. Mais les temps changent, et à bas-bruit, et en particulier depuis la crise sanitaire, de nouvelles paroles se font entendre de la part des médecins eux-mêmes, qui réclament que de nouvelles formations soient réouvertes, comme elles le furent jusqu’aux années 80′.
Déontologie
La formation des hypnothérapeutes s’adresse elle-même le plus souvent à des personnes en échec scolaire ou social qui tentent de contourner un cursus universitaire dont la dimension symbolique est souvent effrayante. La position de contrôle de l’Autre, que procure le praticien de l’hypnose vient souvent palier à une perte de maitrise de soi et de sa propre existence sociale, économique et le plus souvent identitaire.
Il est extrêmement paradoxal de parler d’une pratique déontologique qui consisterait à manipuler le patient, à lui faire perdre tout libre arbitre, dans un but thérapeutique. Pour ma part, je pense que la formation aux métiers de la santé est longue et « coûteuse » en terme de savoir et de position, mais elle forme à l’indépendance et à la confrontation aux pairs, à la connaissance et au savoir partagé en mouvement, tout en le questionnant dans une démarche épistémologique et pluridisciplinaire. Il me semble important de soigner plus que de répondre aux attentes ou à la plainte. Il en va de notre responsabilité. Autrement dit, la démarche symptomatique à elle seule ne suffit pas même si elle peut, dans certains cas, ouvrir vers un travail de fond plus thérapeutique.
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